Pandémie et confinement | Le jeu en ligne « explose »

Lors de tous les matchs télévisés des Canadiens de Montréal, Georges St-Pierre présentera aux fans le site de jeu en ligne Bet99. Cependant, les casinos virtuels, souvent exploités par des entreprises opaques, sont interdits par le Code criminel au Canada. Et malgré la popularité explosive – et la dévastation – des jeux d’argent en ligne pendant la pandémie de COVID-19, les gouvernements sont assis sur leurs mains.

Appâtés par des sites illégaux

Les Québécois se sont tournés en grand nombre vers les plateformes de jeu en ligne durant la pandémie, notamment les sites privés toujours interdits au Canada, selon un vaste sondage mené par l’INSPQ.

La pandémie et le confinement ont eu un effet inattendu : ils ont fait exploser le nombre de joueurs en ligne, multipliant ainsi les risques de jeu pathologique.

Au moins 20 % des Québécois ont été tentés par des expériences de jeu en ligne au cours de la dernière année, selon un vaste sondage mené par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) dont les résultats ont été publiés récemment. Et près de la moitié d’entre eux (8 %), soit plus de 500 000 Québécois, misent pour la première fois sur des jeux de hasard et d’argent en ligne.

« La pandémie a été la tempête parfaite pour amener les gens vers les écrans et vers les jeux en ligne », explique Élisabeth Papineau, conseillère en recherche à l’INSPQ spécialisée dans les jeux d’argent et de hasard. Espérons que ce ne soit pas une habitude qui s’enracine. »

Les centres de traitement de la toxicomanie ont été témoins de ce bouleversement. À la Maison Jean-Lapointe, presque tous les clients reçus l’an dernier jouaient en ligne, alors qu’avant la pandémie, les joueurs en ligne étaient assez rares.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Anne Elizabeth Lapointe, directrice de la Maison Jean-Lapointe et fondatrice de son père, l’acteur Jean Lapointe

La pandémie a provoqué une explosion des jeux d’argent en ligne. Les personnes que nous accueillons ici n’ont plus le même profil qu’avant.

Anne Elizabeth Lapointe, directrice de la Maison Jean-Lapointe

La fermeture des bars et des casinos où les joueurs avaient l’habitude de parier est bien sûr l’une des raisons du phénomène. De plus, la fréquentation de la plateforme de jeu en ligne Espacejeux de Loto-Québec a augmenté de 132 % au cours de la dernière année.

Mais les joueurs qui expérimentent ces plateformes découvrent rapidement les limites d’Espacejeux, souligne Mme Lapointe. Le nombre de paris est limité et des messages réguliers de sensibilisation au jeu pathologique sont diffusés. Par conséquent, les joueurs se tournent vers d’autres sites.

Cependant, depuis un an, ces sites privés attirent les téléspectateurs avec une avalanche de publicités et de promotions, notamment lors des matchs télévisés des Canadiens de Montréal. Bet99, PokerStars, Spin Sports ou encore JackpotCity se sont multipliés sur RDS et TVA Sports. Selon l’entreprise nationale, leur participation à la publicité était même cinq fois supérieure à celle de Loto-Québec dans les jeux en ligne. Même LaPresse.ca avait des bannières publicitaires Bet99.

Illégal au Canada

Cependant, les casinos en ligne privés sont considérés comme illégaux au Canada en vertu du Code criminel. Selon l’expertise réalisée en 2014, leurs promoteurs ou personnes les aidant sont punis jusqu’à deux ans de prison.

Une décision assez récente de la Cour d’appel l’a confirmé. « Par conséquent, les jeux de hasard et d’argent en ligne offerts au Canada par l’intermédiaire de sites exploités par des exploitants privés sont interdits au Canada et […] le Code criminel ne prévoit pas d’exception pour permettre aux provinces d’autoriser les exploitants de tels sites à utiliser ces sites Web. sous licence, les utilisateurs qui résident sur leurs territoires respectifs. »

Cependant, la loi est difficile à appliquer et les gouvernements sont laxistes (voir tableau 3). Il est également assez facile de se déplacer, notamment grâce au composant gratuit, donc légal.

Les sites free-to-play où l’on joue sans argent sont, en quelque sorte, « des écoles pour apprendre à jouer », explique Anne Elizabeth Lapointe. « Et à partir de là, les joueurs se rendent sur des sites où ils misent de l’argent. Cela se fait insidieusement. »

En fait, des entreprises comme Bet99, JackpotCity ou Spin Sports ont deux types de produits. L’un porte une extension. net et c’est gratuit (Bet99.net). L’autre porte une extension. com et il paie et peut gagner pour les parieurs (Bet99.com). Seul le site gratuit propose des publicités et des promotions, bien que les deux logos Bet99 soient identiques.

Si vous faites une recherche Google sur Bet99, le site payant (.com) est mentionné 5 fois sur 6 dans les liens proposés : le site gratuit est le 6ème le plus recherché. Dans le cas de Spin Sports ou JackpotCity, le site gratuit n’apparaît pas du tout sur la première page de résultats. Site payant uniquement. com s’y trouve (qu’il s’agisse d’un lien direct ou de sites où l’on en parle).

Par exemple, le site Bet99 exige un âge minimum de 19 ans pour jouer sur un site payant beaucoup plus décent. Vous devez vous inscrire et fournir diverses informations personnelles (email, numéro de portable, carte de crédit, etc.). Il n’est disponible qu’au Canada.

De toute évidence, il existe une certaine ambiguïté juridique qui permet d’annoncer des jeux théoriquement illégaux.

Élisabeth Papineau, conseillère en recherche INSPQ spécialisée en jeux de hasard et d’argent

Autre difficulté pour les autorités : les opérateurs de ces sites de paris en ligne sont souvent situés à l’étranger, là où les jeux d’argent sont légaux, voire sur la Kahnawake Mohawk Reservation, qui estiment avoir le droit d’octroyer des licences aux opérateurs.

Georges St-Pierre, CF Montréal, les Alouettes…

C’est dans ce contexte d’incertitude juridique que la société suisse BQC Consulting GmbH, qui gère le site Bet99, a multiplié les promotions et les parrainages. L’entreprise licenciée par la Kahnawake Gaming Commission (KGC) a embauché l’un des athlètes les plus populaires du Québec, Georges St-Pierre, ancien champion du monde d’arts martiaux mixtes, à titre de représentant promotionnel.

Georges St-Pierre apparaît sur les plateformes gratuites et payantes. On le voit porter un t-shirt Bet99.net dans des publicités télévisées lors de matchs au Canada, tandis que sur le site de paiement le t-shirt devient Bet99 sans extension.

L’athlète québécois Georges St-Pierre est le porte-parole de Bet99.

De plus, Bet99 a réussi à faire apposer son logo sur les chandails du CF Montréal et du club de football des Alouettes et a fait de Bell Média un partenaire publicitaire des matchs de hockey RDS.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le logo Bet99 qui était bien en vue sur le dos du chandail de CF Montréal lors de l’entraînement plus tôt cette année

Avec Bet99, Bell Média a même organisé un concours offrant aux fans la chance de « gagner 500 $ en argent » sous certaines conditions. Paradoxalement, le concours est enregistré auprès de la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec.

« La Régie n’a pas de rôle punitif dans les compétitions. Il lui suffit de s’assurer que les parties respectent les règles et paient les indemnités. La loi ne nous donne pas le pouvoir de commenter les types d’organismes qui organisent des concours », explique la porte-parole Joyce Tremblay.

Des jeux dangereux

Et pourtant, les professionnels connaissent depuis des années les énormes dangers du jeu en ligne. Même avant la pandémie, le quart des joueurs en ligne étaient sur la pente glissante du jeu pathologique, explique Magaly Brodeur, médecin et chercheuse à l’Université de Sherbrooke.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Magaly Brodeur, Université de Sherbrooke Chercheuse sur le jeu et le jeu

« Avec les jeux en ligne, tout se passe depuis chez soi, à toute heure du jour ou de la nuit. L’utilisation des technologies est facile et addictive. Et il y a la possibilité de consommer de l’alcool ou de la drogue », a-t-il déclaré. « C’est inquiétant car les joueurs en ligne signalent plus de problèmes de toutes sortes que les joueurs hors ligne », ajoute Élisabeth Papineau.

En fait, un quart des répondants qui ont dit à l’INSPQ qu’ils avaient joué en ligne au cours des 12 derniers mois estimaient avoir « dépensé trop d’argent » ou « passé trop de temps » dans ces sessions de jeu en ligne. Plus d’un joueur sur dix (13%) déclare avoir joué tous les jours.

Il n’est donc pas surprenant que l’explosion des jeux en ligne entraîne une augmentation du nombre de consultations. En 2019, seulement 17 % des joueurs ayant appelé une ligne d’assistance du Centre de référence du Grand Montréal avaient un problème de jeu sur Internet. En 2020, ce chiffre est passé à 45 %, indique Hélène Hamel, directrice des lignes spécialisées en dépendance au jeu : service d’aide et de référence.

Les gens nous disent qu’ils sont allés le voir par curiosité, par ennui, par rétention. Et ils ont raté le match.

Hélène Hamel, directrice des lignes spécialisées dépendance au Centre de soutien du Grand Montréal

Même scénario dans les centres de désintoxication. « Les paris en ligne tuent ! » J’ai vu des gens tout perdre avec ça », renchérit Patrice Beaudoin, directeur du CHSLD La Bouée.

La pandémie a-t-elle créé un nouveau groupe de joueurs pathologiques ? « Nous avons fait une revue de la littérature mondiale », explique Magaly Brodeur, « et compte tenu de ce que nous constatons tant dans la communauté scientifique que dans la communauté médicale, nous sommes inquiets. » Assez significativement. »

Pas de commentaires

Joint par La Presse, Bell Média affirme que les campagnes de ses clients sont conformes à toutes les réglementations. TVA et sa société de contrôle, Quebecor, n’ont pas retourné nos appels, pas plus que les Alouettes de Montréal. Le Club de soccer de Montréal (CF Montréal) n’a fait aucun commentaire. L’agent de Georges St-Pierre, Philippe Lepage, affirme que son client ne donnera pas d’entrevue sans le consentement de Bet99. Enfin, l’avocat de Bet99 affirme dans une lettre à La Presse qu’il est parfaitement légal pour les Canadiens de parier dans un casino en ligne qui n’est pas basé au Canada et qui possède une licence valide.

Des chiffres inquiétants

Comment l’INSPQ a-t-il procédé ?

L’INSPQ a sondé chaque semaine 3 300 Québécois sur une période de 12 mois autour d’une soixantaine de questions, dont la participation au jeu en ligne. Les résultats sont annoncés une fois par semaine.

La solution de Loto-Québec rejetée par les tribunaux

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

En 2010, l’ancien PDG de Loto-Québec, Alain Cousineau, lance Espacejeux. La société d’État espérait obtenir le monopole du jeu en ligne au Québec, mais les tentatives de blocage des casinos virtuels privés n’ont pas porté leurs fruits.

François Vailles

Journalisme

Loto-Québec met en garde les Québécois contre les casinos privés en ligne, mais sa solution pour les bloquer vient d’être rejetée par une cour d’appel.

« Nous voulons que les Québécois sachent que nous sommes le seul site de jeu en ligne légal et sécurisé avec des mesures de contrôle », a déclaré Lynne Roiter, alors présidente de Loto-Québec, devant la Commission des finances publiques du Québec le 27 avril 2021.

Malgré cette prétention, les casinos privés ont eu carte blanche au Québec ces dernières années. En 2016, le gouvernement du Québec a adopté une loi qui permet à Loto-Québec de demander aux entreprises de télécommunications telles que Bell, Rogers ou Telus de bloquer les casinos privés virtuels.

Or, cette loi, jugée superficielle et opportuniste, vient d’être déclarée invalide pour la deuxième fois, le 5 mai 2021, par la Cour d’appel. La Cour suprême a rendu la première décision en juillet 2018. Le gouvernement du Québec analyse la possibilité de porter l’affaire devant la Cour suprême.

250 millions en jeu

Selon les décisions de justice, la loi « interfère directement avec deux domaines de compétence fédérale, à savoir les télécommunications et le droit pénal », la rendant invalide.

L’objectif de Loto-Québec était de limiter la baisse de ses revenus en établissant un monopole. En 2014, Crown Corporation a estimé la taille du marché du jeu en ligne à 250 millions de dollars par an. Il a ensuite estimé que ses propres bénéfices annuels avaient été réduits de 27 millions de dollars en raison des casinos virtuels privés.

Au cours de la dernière année, le confinement lié à la pandémie qui a entraîné la fermeture des bars et de leurs appareils de loterie vidéo a fait bondir de 132 % les revenus de la plateforme Espacejeux de Loto-Québec. Cependant, les experts du secteur estiment que les sites privés sont tout aussi populaires, sinon plus.

Le Code criminel interdit le jeu, sauf pour les entités établies et gérées par les gouvernements provinciaux, comme Loto-Québec. L’activité est interdite aux entreprises privées, mais elles doivent tout de même opérer au Canada, explique Anne-Marie Boisvert, avocate à l’Université de Montréal. Cependant, la majorité des casinos en ligne dématérialisés sont basés à l’étranger, d’après nos recherches, dans des États où les jeux d’argent sont légaux.

Cela s’applique aux entreprises derrière les sites qui font de la publicité pendant les matchs des Canadiens de Montréal. Ils sont principalement implantés en Suisse et à Malte.

De nombreux sites obtiennent leur licence d’exploitation auprès de la Commission des jeux de Kahnawake, une réserve de la nation mohawk qui considère qu’elle a le pouvoir de créer et d’exploiter des casinos, que ce soit en ligne ou dans un bâtiment. Le gouvernement n’est jamais intervenu dans la réserve pour bloquer les casinos.

Dans un rapport de 2014, l’experte Louise Nadeau et son équipe ont proposé que le Québec renonce à son monopole du jeu en ligne en accordant des licences à des entreprises privées en échange de 3 à 15 % de leurs revenus.

Selon leur analyse, basée principalement sur l’expérience du Royaume-Uni et du Danemark, le « système de licence est le plus prometteur » et contrôle 95% des jeux d’argent en ligne.

Le Québec n’a pas suivi cette voie, préférant tenter en vain de bloquer les sites des entreprises de télécommunications.

Le système de permis est exactement ce que l’Ontario met en place. La province de Doug Ford a commencé à octroyer des licences aux casinos virtuels privés le 23 avril.

Or, selon un rapport Nadeau de 2014, ce système nécessite une modification du code criminel car « la loi fédérale ne permet pas une telle solution ». Les commissaires ont également appelé le gouvernement du Québec à faire pression sur Ottawa à cet égard.

La voie ontarienne

Cela a été confirmé par la Cour d’appel le 5 mai 2021 dans une décision concernant Loto-Québec, citant que le Code criminel ne permet pas aux provinces d’autoriser l’exploitation privée du jeu en ligne.

Ce n’est pas l’avis de la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario. L’organisme considère que son mécanisme de gestion des jeux en ligne, incluant l’attribution des licences, est conforme au Code criminel, selon les réponses de l’organisme à La Presse.

Au niveau fédéral, on ferme les yeux sur cette évidente ambiguïté juridique. En réponse aux questions de La Presse, le ministère fédéral de la Justice, dirigé par David Lametti, confirme que « la réglementation relève de la compétence des provinces et des territoires. Cela comprend les jeux de hasard en ligne qui peuvent être offerts dans une province ou un territoire. Ces jeux de hasard en ligne doivent être réglementés par un gouvernement provincial ou territorial en vertu du Code criminel.